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Vosges - Décès de Justine Renard : des questions posées par "Justice pour Justine"

Le 17 février, les Vosges ont appris avec stupeur le décès de Justine Renard, disparue quelques heures auparavant. Cette tragédie a profondément ému la population locale et suscité de nombreuses interrogations sur les raisons de sa disparition.


Une femme investie et reconnue

Justine Renard, 34 ans, était une enseignante multi-diplômée, qualifiée en écologie, géosciences et transition des territoires à l'IUT de Perpignan. Normalienne et agrégée en sciences de la vie et de la terre, elle était passionnée par son métier et investie dans l’éducation environnementale. Son engagement dépassait largement les salles de classe : militante convaincue, elle participait activement à des combats pour la préservation de l’environnement.

Elle s’était notamment illustrée dans la contestation de la construction d'un méga-golf à Villeneuve-de-la-Raho et dans la lutte contre les travaux de l'autoroute A69. Son activisme, relayé par des médias comme Reporterre, en faisait une figure reconnue du mouvement écologiste.

Justine, lors de son intervention en mars 2024 (Photo David Richard)


Extrait de l’article de « Reporterre », le média de l’écologie en mars 2024 :

« Les Pyrénées-Orientales connaissent la pire sécheresse depuis 65 ans. Pourtant, les travaux d’un méga golf ont démarré à Villeneuve-de-la-Raho, près de Perpignan. Une aberration selon les habitants.

Quatre-vingt-douze universitaires et chercheurs de l’université de Perpignan ont signé une tribune dans le quotidien local, L’Indépendant, pour dénoncer un projet qu’ils jugent « hors sol ». L’une des signataires, Justine Renard, enseignante en écologie, géosciences et transition des territoires, a pris la parole au mégaphone, devant la mairie, en conclusion de la manifestation, pour rappeler les enjeux face au changement climatique : « Convertir ces 160 ha en green, c’est exclure les êtres vivants, les pollinisateurs, dont nous dépendons de manière vitale », alors que « l’abondance des insectes a chuté de 80 % dans certaines régions agricoles, notamment par l’usage de pesticides ».

« Une aberration »

C’est aussi, a-t-elle dit, « réduire les chances d’assurer la sécurité alimentaire du territoire et de réduire les émissions de nos chaînes d’approvisionnement ». « Accaparer ces terres, cette eau, pour un usage de loisirs destiné à une population privilégiée » est à ses yeux « une aberration » dans un département « parmi les plus pauvres de France ». 18 mars 2024 – Article de Henri Frasque et de David Richard (pour les photographies)

Des soupçons de malversations

Au-delà de son engagement pour l’environnement, Justine Renard aurait découvert des irrégularités au sein de l’IUT de Perpignan. Selon plusieurs témoignages, elle a mené, seule, une enquête sur des pratiques qu'elle qualifiait de « mafieuses », impliquant un système de répartition frauduleuse des heures d'enseignement. Elle aurait alerté sa hiérarchie et envisagé de rendre l’affaire publique.

« On savait qu’elle enquêtait, seule, sur ses suspicions. Elle était tellement persuadée d’avoir découvert un système de détournements de fonds, quelle avait l’intention de remuer tout. Elle avait d’ailleurs révélé une partie de ses découvertes à la hiérarchie de l’UPVD, qui a timidement réagi » nous a confié Jean-Pierre (prénom d’emprunt)

Un collectif anonyme, signé par des collègues de l'université sous l’appellation « Justice pour Justine », a confirmé ces informations par le biais d'une lettre ouverte adressée à Yvan Auguet, président de l'Université de Perpignan. Ce courriel dénonce l’absence de réelle réaction de l’administration face aux révélations de Justine et questionne les événements ayant précédé son décès.

Un des auteurs de la lettre ouverte, a précisé : "Justine a tenu bon pour corriger un système sclérosé, car ces pratiques n'ont plus cours. Mais c'est le contre-coup qui s'est révélé le plus dur pour elle. L'absence de réponse de l'institution s'est surajouté aux mois de dénigrement, et sa "victoire" a vraiment eu un goût amer."

La lettre ouverte à M. Auguet, Président de l'université de Perpignan.

« Monsieur Auguet,

Justine Renard, 34 ans, est décédée dans la nuit du 14 au 15 février, dans une forêt des Vosges. Une enquête est en cours pour comprendre les circonstances de ce drame terrible. Mais quelles que soient les évènements de cette nuit-là, il est important de rappeler que Justine était depuis des mois en arrêt maladie, épuisée par une affaire qu'elle avait largement contribué à mettre au jour dans son travail à l'IUT de l'université de Perpignan.Justine était normalienne, professeure agrégée en sciences de la vie et de la terre. Passionnée par l'enseignement et l'éducation à l'environnement, elle l'était résolument. C'était plus qu'un métier pour elle, c'était une vocation, et elle s'y impliquait bien au-delà de ses horaires de travail. Elle était arrivée à Perpignan avec l'envie de développer des actions pédagogiques en lien avec les acteurs du territoire. Les enjeux de développement durable à l'échelle locale, entre biodiversité, sécheresse, agriculture, bétonisation, et tourisme, lui avaient permis de commencer à tisser un important réseau qu'elle mettait à profit pour la formation des étudiants. C'est toujours à eux qu'elle pensait, même durant son congé maladie, regrettant de ne pouvoir tenir les promesses qu'elle s'était elle-même formulées. La face obscure de ce travail, Justine l'a peu à peu découverte. Derrière des emplois du temps imprévisibles, changeant d'une semaine à l'autre, derrière l'opacité de la répartition des heures d'enseignement entre les collègues de l'IUT Génie Biologique, régnait en fait un arrangement que Justine qualifiait volontiers de "mafieux". Des centaines et des centaines d'heures de cours non effectuées était tout de même réparties et payées, bénéficiant ainsi gratuitement à certains. C'était la pratique établie, normalisée par des années d'habitude, certes sans publicité, évidemment, mais un état de fait tout de même.Justine était une personne intègre, et malgré son manque de connaissances dans le domaine de la gestion financière, elle avait bien fini par comprendre que ce n'était non seulement pas normal, mais, probablement, absolument illégal.

Elle ne savait pas déterminer s'il s'agissait d'escroquerie en bande organisée, de détournement de fonds publics, de recel et abus, mais elle s'était battue pour y mettre un terme.Comme souvent, malheureusement, lorsqu'une institution fait face à un problème, le réflexe est de minimiser les dommages. On peut mettre beaucoup de poussière sous un tapis, et malheureusement, l'université de Perpignan ne bénéficie pas d'une assise assez solide pour ne pas avoir peur de faire le ménage, surtout concernant l'IUT, l'une de ses composantes qui marchent le mieux.

Alors plutôt que de se lancer dans une opération "mains propres", on a rapporté à Justine qu'il n'y avait pas les moyens de diligenter une enquête interne. On a changé quelques têtes, et puis circulez, il n'y a rien à voir. Cela a choqué Justine. Mais ce qui l'a le plus atteint, c'est le fait que pendant des mois, on lui a fait croire qu'elle se faisait des idées, que c'était elle qui avait un problème. Et de cela, à cette échelle-là, on se remet difficilement. Cela vient saper votre confiance en vous-même et en votre perception de la réalité, de votre capacité à l'analyser.

Pour Justine, cela a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Cela a fait résonner en elle des mois et des mois de démêlés émotionnellement éprouvants. »


Photo de Justine par Cafépédagogique.net

Un départ inexpliqué

En congé maladie pour épuisement professionnel, Justine était retournée dans sa région natale; les Vosges. Le 14 février, elle a quitté son domicile, équipée comme pour une randonnée, et a laissé un message troublant. Le lendemain, son corps aurait été retrouvé en bordure de rivière à Tignécourt, à sept kilomètres de Frain. Les circonstances exactes ayant conduit à son décès restent floues et font l'objet d'une enquête.

Quelques mois plus tôt, Justine avait exprimé publiquement son ressenti sur l’usure professionnelle, validant une réflexion d'une collègue sur LinkedIn : « Le burn-out vient de la violence que les gens subissent et non d'une faille personnelle. »

Que s’est-il, réellement, passé pour Justine Renard ? La question demeure, et son souvenir reste vivace dans l'esprit de ceux qui l'ont connue et soutenue dans ses combats.



Rédaction : Alain Reynders

Photos : Linkedin de Justine & Reporterre – David Richard

3 Kommentare


Evelyne Kretz
Evelyne Kretz
il y a un jour

Écoeurée par ces institutions dirigés par des opportunistes serviles,

Uniquement préoccupés par leur carrière, planqués dans leur bureau installés confortablement dans leur incompétence et leurs magouilles et dont on renouvelle les contrats.

Ces illusionistes de l excellence qui nous abreuvent de discours lénifiants

n'ont ni respect ni empathie pour les enseignants qui par la qualité

De leur travail et leur implication font la

réputation de nos universités


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mcelsaesser
25. Feb.

Douces pensées à cette militante et femme engagée qui s est battue pour dénoncer la corruption.

Je suis à l origine du collectif vs Brunner depuis janvier, plus de 120 témoignages de victimes bafouées.

Cela concerne tout le grand est.

J ai encore davantage conscience de

la difficulté face à l omerta et la violence institutionnelle.

Bravo Madame.

Marie Charlotte Elsaesser

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yanoubidou
28. Feb.
Antwort an

Je travaille à l'hôpital.... même constat, mais c'est une autre histoire institutionnelle.


Je suis triste pour cette belle personne. Un parcours exemplaire, j'ai lu ses articles ou elle défendait ses élèves et la connaissance du vivant. J'aurai aimé la croiser sur des parcours militants communs. Paix à son âme.

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