La Fabrique de la Cité, le "think tank" des transitions urbaines, explore les enjeux des villes moyennes à l'heure de la transition environnementale pour mettre en lumière des initiatives inspirantes et proposer de nouveaux modèles de développement.
Pour ce nouveau voyage d'étude organisé le 16 mai dernier, le "think tank" a choisi de s'intéresser à l'agglomération d'Épinal, qui fait figure de référence en matière urbanisme circulaire.
Publiée dans la collection 'Portrait de ville' ce 24 juillet, cette édition revient sur les caractéristiques et les initiatives publiques et privées qui ont permis au territoire spinalien de faire coup double en développant une approche centrée sur la lutte contre l'étalement urbain tout en valorisant sa filière bois.
Crédit photo : Claude Rousseaux
Urbanisme circulaire : de quoi parle-t-on ?
L'urbanisme circulaire est un nouveau modèle de développement urbain, théorisé par l'urbaniste Sylvain Grisot, qui repose sur l’intensification des usages, la transformation des bâtiments existants, la densification et le recyclage des espaces déjà urbanisés. Ce modèle représente une voie d’avenir à l'heure où le territoire tout entier est traversé par de profondes mutations en matière d'aménagement des territoires : "zéro artificialisation nette", réindustrialisation, objectif de neutralité carbone... En engageant une vaste stratégie de réhabilitation de son centre ancien appuyée sur sa filière bois, la ville d'Épinal fait figure de référence en matière d'urbanisme circulaire.
Contre l'étalement urbain, le défi de la rénovation du centre ancien d'Épinal
Comme de nombreuses autres villes françaises, Épinal et les communes environnantes ont assisté, au fil des ans, à un phénomène progressif d’étalement urbain. C’est en partie pour endiguer cet étalement caractérisé par le développement de l’habitat pavillonnaire péri-urbain qu’Épinal s’efforce aujourd’hui de réhabiliter son centre-ville.
Cette politique de réhabilitation a débuté par des sessions de réunions publiques composées d’anciens Spinaliens ayant quitté la ville, d’habitants s’apprêtant à faire de même ou de personnes en recherche de logement sur le territoire. Cette étude menée entre 2016 et 2018 a mis au jour une dégradation de la qualité du bâti de l’hyper-centre, aux logements exigus et énergivores, ainsi qu’un important taux de vacance. Un besoin émerge dès lors : celui d’améliorer la qualité du parc privé.
Place des Vosges - Photo Wikipédia
Pour y parvenir, l’équipe municipale entreprend en 2018 un vaste projet de renforcement de l’attractivité du centre-ville, au moyen d’une opération programmée d’amélioration de l’habitat (OPAH) intégrée dans un programme nommé « Épinal au coeur ». Cinq après son lancement, cette ambitieuse opération de rénovation urbaine porte ses fruits : la ville observe aujourd’hui une légère diminution (-10 % en 3 à 4 ans) du taux de vacance de son centre-ville, ainsi que de vraies avancées en matière de rénovation énergétique (55 % d'économies d'énergies générées en moyenne grâce aux travaux).
Au-delà du seul centre-ville, Épinal fait aujourd’hui face à deux enjeux majeurs en termes d’habitat : l’impératif de « zéro artificialisation nette » (ZAN), destiné à préserver les terres naturelles et agricoles, mais qui limite les possibilités de construction de nouveaux logements ; et le besoin de rénovation de l’habitat ancien, notamment dans la campagne environnante, qui compte nombre de "villages-rues" aux maisons vacantes. Sélectionnée en 2017 dans le cadre d’un appel à projet lancé par Épinal, Villes Vivantes déploie, pour le compte du SCoT des Vosges centrales (154 communes), une opération « BIMBY-BUNTI », destinée à assister les particuliers dans la réalisation de leurs projets de logement. Le principe : un rendez-vous gratuit d’une heure avec un professionnel de l’architecture ou de l’urbanisme pour modéliser en 3D un projet de rénovation, de réhabilitation, de construction d’une maison dans son jardin ou encore de création d’un terrain. À ce premier entretien, succède à un accompagnement exhaustif, de la conception architecturale à la réalisation du projet.
Au cœur de l’économie circulaire avec la filière bois d’Épinal
Surnommées « Wood Valley », les Vosges peuvent se prévaloir d’un riche héritage forestier. Leurs 297 000 ha de forêt, qui couvrent 48 % de leur territoire, en font le troisième département le plus boisé de France et fournissent 13 000 emplois au sein de quelque 1 000 entreprises, soit 8 % de la main-d’œuvre salariée du département. Alors qu'elle traversait plusieurs crises faisant craindre son déclin - essor des meubles en kit fabriqués en panneaux de particules, chute de l'industrie papetière et crise financière mondiale - la filière a bénéficié du soutien du département et de l'agglomération d'Épinal. L’objectif : préserver les compétences et emplois locaux, pour éviter à tout prix de voir les Vosges devenir un simple lieu de prélèvement des ressources forestières et saisir, dans le même temps, l’opportunité majeure de valoriser les ressources locales pour construire, aménager et meubler le bâti du territoire.
Nos forêts - (Photo Alain Reynders)
Les pouvoirs publics ont réuni les différents acteurs de la filière - professionnels, étudiants, chercheurs et associations - pour les structurer et les inviter à repenser les modes de construction en partant des ressources forestières disponibles localement.
Depuis, Épinal a accueilli le premier supermarché 100 % bois et l'Hôtel Innovation Bois, un pôle d’ingénierie destiné à catalyser l’innovation dans le domaine du bois tout en stimulant la collaboration et les synergies entre les différents acteurs locaux de la filière. La ville de Tendon, située à quelques kilomètres d'Épinal, possède un établissement périscolaire construit avec du hêtre issu de la commune.
L'Hôtel Innovation Bois d’Épinal (Photo Communauté d'Agglo d’Épinal)
Toujours dans l’objectif de valoriser les essences locales, la Communauté d’agglomération d’Épinal signe en avril 2023 le Pacte Bois Biosourcé, qui l’engage à utiliser, pour son propre patrimoine, une part définie de matériau biosourcé (bois, paille…). Cet engagement se traduit par plusieurs projets emblématiques, dont le siège de la Communauté d’agglomération, entièrement construit en bois.
À l'heure de la RE2020, qui inscrit la filière construction dans une action continue et progressive en faveur de bâtiments moins énergivores, la construction bois est par ailleurs un véritable enjeu.
Aux impératifs de sobriété foncière et de décarbonation de la construction, le territoire d’Épinal répond par des solutions inspirantes, réplicables, transposables. Il a su réunir plusieurs ingrédients d’une politique de réhabilitation réussie d’un cœur de ville ancien et en déprise démographique : adaptation aux attentes des habitants, incitations, accompagnement personnalisé, préservation d’un patrimoine remarquable… Il offre aussi à une filière bois nationale en manque de structuration l’exemple d’un écosystème industriel dynamique, porté par l’innovation, la recherche et la volonté politique.
Article de "La Fabrique de la Cité" illustré par Alain Reynders
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